vendredi 28 septembre 2007

LE STYLE COLONIAL AU QUÉBEC


UN PARTI MAL PRIS

On se souvient combien certains des courants de la révolution tranquille qui se voulaient radicaux se sont reconnus dans les propos de Jacques Berque, d'Albert Memmi et de Frantz Fanon. Après une lecture (probablement) plutôt cursive de ces auteurs, les gens de Parti-Pris, les Vallières, les Lanctôt et plusieurs autres conclurent que le Québec était en proie aux affres du sous-développement et de la colonisation, au même titre que l'Algérie, le Congo ou l'Amérique du Sud. Il y avait là une erreur de perspective fondamentale. En effet, le Québec n'a jamais été un simple lieu de sous-développement comme les autres. Bien au contraire : le Québec a toujours été un lieu de colonisation et d'exploitation d'avant-garde, bien branché sur les tout derniers développement du capitalisme de son époque.


WE LIVE IN A VALLEY THEY CALL THE SAINT LAWRENCE…

La vallée du Saint-Laurent a été —et continue d'être— un des laboratoires privilégiés des expériences de contrôle social dans les sociétés dites avancées. Cette tendance ne s'est pas démentie avec les années; elle remonte aux origines mêmes du Canada et du Québec. Qu'il se soit agi de Jean Talon ou des gentlemen adventurers de la Hudson's Bay Company, l'Amérique du Nord qui devint éventuellement britannique a toujours vu le déploiement de techniques de domination bien en avance sur celles imposées en Afrique, en Amérique du Sud ou en Asie par nos maîtres les Français et les Britanniques. C'est un peu ce que nous rappelait il y a un certain temps Stéphane Kelly dans un article paru dans Le Devoir à propos des « rois nègres » du Québec.

Kelly y décrivait comment, au cours des années 1950, André Laurendeau, Pierre Trudeau, Marcel Rioux et leurs confrères accusaient les Britanniques d'avoir importé au Québec un système de domination par rois-nègres interposés précédemment déployé dans leurs colonies d'Afrique.

Contrairement à ces « pères » de la révolution tranquille, Kelly a l'insigne mérite de noter que les premiers rois « nègres » à avoir été reconnus, soutenus et cultivés —dans tous les sens du terme— par l'empire britannique n'ont pas été les souverains zoulous inféodés par la force des armes à Cecil Rhodes et à ses semblables, mais bien les Cartier et les Lafontaine, ces vire-capots, ces ex-républicains et ex-patriotes devenus féroces adversaires du républicanisme en terre d'Amérique : « Les partisans de la décolonisation ont pensé, à tort, que l'on nous avait servi un plat cuisiné en Afrique. Au contraire, ce sont les autres colonies de l'empire qui ont goûté à un plat concocté dans la vallée laurentienne, avec les bons conseils de notre élite aristocratique, afin de dissuader un peuple un peu trop sympathique à l'idée républicaine. »

Certes, il y avait (et il y a toujours) le paravent qu'on a appelé « Canada », ce mot qui désigne le pays cautionné et imaginé par Lafontaine, Cartier, Baldwin, Tupper et les autres. Mais dans la vraie vie, celle des lois, le nom conféré au nouveau territoire par la Couronne était fort éloquent : ça s'appelait la British North America, l'Amérique du Nord britannique, autrement dit, l'Amérique non républicaine, l'Amérique toujours et obstinément monarchiste.

KING OF AMERICA

L'Amérique du Nord britannique était —et demeure à ce jour, merci de nous le rappeler, professeur Kelly !— l'ultime bastion de la monarchie dans le nouveau monde. Hormis le Canada, sauf pour quelques îles et protectorats plus ou moins folkloriques, le continent est depuis belle lurette républicain (même s'il ne s'agit parfois que de républicanisme à saveur bananière) de la Terre de Feu jusqu'au quarante-cinquième parallèle. Il est par ailleurs assez impressionnant —mais nullement surprenant— de voir combien la réaction monarchiste britannique a été encouragée, confortée, assistée et supportée dans son entreprise de domination et de suppression de la pensée républicaine et « progressiste » au Québec par les élites canadiennes-françaises et ce, jusqu'à nos jours.

LE SECRET DU MOUVEMENT PERPÉTUEL : LE MOTEUR À RÉACTION !

Cette mouvance réactionnaire s'est toujours abreuvée aux sources troubles, non seulement de l'Action française, mais de la réaction antirépublicaine et antirévolutionnaire en général (on pense aux idéologies véhiculées par les légendes napoléoniennes et gaulliennes, toutes deux vouées essentiellement à la défense et à l'illustration des vertus de la prise du pouvoir par les militaires, mais aussi à leurs pendants britanniques, les sagas wellingtoniennes et churchilliennes).

Les tristes séquelles de ce colonialisme réactionnaire persistent jusqu'à maintenant : le Québec est toujours empêtré dans la tradition des « Rhodes scholars », ces nostalgiques orphelins du déclin de l'empire britannique sur lequel le soleil a bien fini par s'endormir. La même relation existe d'ailleurs avec l' « autre » mère-patrie, la France : les Bernard Landry d'aujourd'hui ont dûment étudié, comme les élites colonisées de l'Afrique francophone, à l'École nationale d'administration publique de Paris. Le pauvre Vallières s'était trompé là-dessus, comme sur bien d'autres choses : les Québécois n'étaient pas seulement les nègres blancs d'Amérique, ils étaient les seuls nègres d'Amérique à avoir des vrais rois nègres blancs dûment diplômés, agréés… et authentiquement royalistes !

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