vendredi 28 septembre 2007

COMMUNAUTÉS, COLLECTIVITÉS ET RÉALITÉ

SALMIGONDIS ET ABUS DE LANGAGE

Il faut faire attention aux « termes lourds » qu'on entend un peu partout : « action socio-communautaire », « prévention sociale », « prise en charge », « société civile » et le reste. Toutes ces expressions sont, au mieux, des termes et concepts mous utilisés à tort et à travers, mais avec une certaine bonne foi, par des gens qui en ignorent le sens. Mais dans la plupart des cas, ils sont utilisés sciemment par des spécialistes des sciences sociales appliquées qui font la promotion de divers modes de gestion et d'organisation des services (la plupart importés des États-Unis ou de France par des spécialistes de la désorganisation communautaire) qu'on fait passer pour des trouvailles du « mouvement communautaire » ou de la « société civile ». Un exemple parmi tant d'autres : le concept d'empowerment qui est servi à toutes les sauces, mais qui, la plupart du temps, n'est autre chose que de l'enfirouâpement pur et simple . Il me semble qu'il importe d'examiner le fond des choses.

COMMUNAUTAIRE, SYNDICATS ET COMPAGNIE : PRIVATISATEURS MALGRÉ EUX —

COMMENT FAIRE DE LA PRIVATISATION COMME MONSIEUR JOURDAIN DE LA PROSE

Débattre du fond des choses, ça veut dire se poser des questions sur le rôle que syndicats, organismes communautaires, regroupements, entreprises d'économie sociale, organismes artistiques et autres ont été amenés à jouer, par une série de glissements progressifs et « progressistes » du désir de rendre service, dans ce qui s'appelle en termes techniques le « third-party government », le « gouvernement par les tiers » .

En effet, qu'elles le veuillent ou non, qu'elles en soient conscientes ou non, des centaines, voire des milliers, de personnes bien intentionnées, adhérant aux « orientations » (on devrait plutôt parler de dérives que d'orientations !) qui ont cours chez la plupart des « organismes de la société civile » sont fermement (et souvent irréversiblement) engagées sur une pente fort savonneuse : la « livraison » de services à caractère public (le loisir, l'alphabétisation, l'intégration des nouveaux arrivants, l'éducation populaire, le développement local et régional, le soutien aux arts, les services sociocommunautaires, etc.) par des entités privées financées à même les deniers publics. L'éventail de ces entités privées est fort vaste : des simples « regroupements de citoyens » jusqu'à des « puissances » financières comme le Fonds de solidarité FTQ, en passant par les « organismes de bienfaisance », le « mouvement communautaire autonome » et les entreprises d'économie dite sociale. Toutes fonctionnent, en tout ou en partie, grâce aux fonds publics, soit directement grâce à des subventions, soit indirectement par le biais de contributions dites privées, mais assorties de diverses exonérations fiscales. La question devrait se poser : comment des organisations qui, il y n'y a pas si longtemps, parlaient de « casser le régime », voire de « prendre le pouvoir » en sont-elles venues à se transformer en sous-traitants de l'État et, dans une certaine mesure, en laboratoire des privatisations envisagées par les gouvernements et les administrations publiques ? Plusieurs ont parlé de capitulation ; certains ont parlé de trahison ; d'autres encore ont prétendu que tout cela était le résultat de l'infiltration de diverses organisations par les services dits de sécurité… on pourra en reparler à l'occasion.

Chose certaine, il y a une explication « bienveillante » à l'apparition de cette dynamique : tout ce monde-là est très confus. En effet, depuis quelques années, les organismes communautaires et « non gouvernementaux », les syndicats et les associations de toute sorte sont pris dans un véritable maelström : sommets, concertations, états généraux, consultations publiques, et tout et tout. Ce tourbillon est continuellement alimenté de rumeurs à propos du chambardement appréhendé des programmes de subvention, des lois et des politiques gouvernementales, des changements successifs de régime à Québec comme à Ottawa, et le reste et le reste… sans compter les « défis de la mondialisation » et les fusions, défusions et refusions municipales dont les impacts, surtout à Montréal, ne cessent de déstabiliser toutes le sphères d'activité. Pas besoin d'être Nostradamus pour deviner que « si la tendance se maintient », cette confusion va sévir pendant au moins quelques années. C'est pourquoi il importe d'essayer de se donner quelques repères un peu clairs.


« NOUS PARLONS DE… »

Commençons donc par rappeler quelques définitions. En effet, je suis de plus en plus convaincu que les dérives actuelles sont dans une certaine mesure attribuables à la confusion qui entoure des concepts de base. Nous commencerons par deux notions : « communauté et « collectivité » :

  1. La communauté, au sens le plus général du terme, c'est un « groupe social dont les membres vivent ensemble, ou ont des biens, des intérêts communs » . Plus précisément, les membres d'une même communauté sont unis par des liens d'intérêt ou des habitudes communes ; ainsi, « ce qui est bon pour tous l'est pour chacun ». C'est pourquoi les communautés ont tendance à devenir de plus en plus petites à mesure que les intérêts de chacun se précisent. La république étatsunienne (ce que d'aucuns appellent « Étatsunistan ») est une courtepointe de ce qu'ils appellent là-bas des communities. Comme l'écrivait Marc-Édouard Nabe, « les Américains vivent dans le plus petit pays qui soit : mon ghetto, ma maison, ma voiture, ma télé, mon chien, et mon frigo (le chien dans le frigo ?). Tout est réduit à sa plus simple expression. Un grand vide habite ce vaste espace. Et ce vide, il faut le cacher ! »
  2. Quant à la collectivité, c'est un « ensemble d'individus groupés naturellement ou pour atteindre un but commun » . Une nuance s'impose cependant : la collectivité « envisage l'ensemble des hommes comme formant une sorte d'être qui transcende l'individu en lui imposant des impératifs qui l'obligent à oublier totalement son propre intérêt ».


ABSTRACTIONS ET RÉEL

Quand on y réfléchit un peu, il appert que « les communautés » et « les collectivités » (au sens ou on en parle couramment sur la place publique) ne sont que des abstractions , qu'elles ne sont pas réelles. Ceci ne signifie pas que l'idée de communauté ou de collectivité, et notamment l'idéologie communautariste, n'ont pas des retombées tangibles, tangibles, « sonnantes et trébuchantes », comme on dit, surtout quand la superstructure et ses appareils idéologiques parlent en long, en large, en bien, en mal, mais surtout à tort et à travers des communautés et des collectivités au lieu de parler du réel.

Ce qui est réel, ce sont les gens qui habitent (avec ou sans domicile fixe) un quartier, un arrondissement, une ville, un pays ou le monde (en un mot le territoire) et les gestes qu'ils posent ou ne posent pas. Ces gens ont des besoins, des goûts, des traditions, des intérêts, des aspirations, des opinions, des croyances, des craintes, des préjugés ou des convictions qui les rapprochent et les éloignent, qui les unissent et les séparent, qui les regroupent et les divisent plus ou moins fortement, avec des effets plus ou moins heureux… et parfois catastrophiques . Mais cela ne signifie pas que les communautés ou les collectivités existent, sauf en tant que des termes qui réfèrent à des « ensembles » ou à des « sous-ensembles » qui correspondent à des « coupes » plus ou moins arbitraires pratiquées dans le tissu social, souvent avec des méthodes qui rappellent, dans le domaine social, celles utilisées par les professeurs Mengele ou Cameron dans d'autres champs d'expérimentation.

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