jeudi 11 octobre 2007

UN PEU DE TECHNIQUE

I used to be technical, now I'm just clinical…

On vous l'avait dit : on parlerait ici de technique.

Donc… parlons un peu de son et de sonorisation.

Sujet complexe et parfaitement fascinant.
On connaît les sujets de discussion communs : Le « son » est-il trop fort ? Pas assez fort ? « Naturel » ? « Trafiqué » ? « Bon » ? « Mauvais » ?...

On ne parlera pas (pour l'instant) « du son » : cette discussion relève du domaine de la physique ou de la philosophie des sciences.

Notre propos se limitera pour le moment à diverses questions reliées à la perception de certains phénomènes sonores et à certaines applications des techniques psycho-acoustiques, notamment dans l'industrie du spectacle.

Mais… les textes à ce sujet ne sont pas encore prêts. RENDEZ-VOUS BIENTÔT ICI !

En attendant, nombreux sont ceux et celles qui « pratiquent les métiers du son » et qui se demandent pourquoi ceci ou cela fonctionne ou non.

Donc, sans attendre, voici quelques références et outils qui ne coûtent rien et qui devraient aider :

  1. Lien vers la section Technical Library de JBL. Tout est utile, mais il faut télécharger les deux parties du Sound System Design Manual. Cette version (1999) n'est pas la même que celle qui est entre les mains des « distributeurs » et « contracteurs » agréés aujourd'hui par JBL, mais ça vaut vraiment le détour. D'autant plus que la chose avait été écrite par (feu) John Eargle, un des « vrais de vrais ».

  2. Suivez le lien et vous pourrez télécharger le gratuiciel Spectrum Lab. Il faut bidouiller un peu (le logiciel a été d'abord conçu pour la radio amateur)… mais on peut l'utiliser avec à peu n'importe quel ensemble PC/carte de son pour analyser/diagnostiquer, non seulement les systèmes audio, mais aussi l'acoustique des salles, studios, etc. Les auteurs le signalent : le tout est « highly experimental »… mais, comme disaient mes vieilles tantes à propos de leur sherry préféré, on voit pas comment on pourrait s'en passer.

Exemples ? Pourquoi CIBL « sonne » plus ou moins bien que CKUT ou que Radio-Canada ? Pourquoi le football ou le baseball « sonne » plus ou moins bien à RDS ou à TSN ? Branchez le signal audio dans une carte son, ouvrez Spectrum Lab… et tout devient assez clair merci !

Bang Bang, Pag Pag...

Courriel expédié à la rédaction de Bang Bang

Je ne le dis pas assez, mais je suis un lecteur assidu de Bang Bang.

Je dis souvent à ceux et celles qui parlent, trop souvent à tort et à travers, de la « relève », de lire Bang Bang, de prendre le temps de regarder Baromètre et ensuite de tourner leur langue sept fois en récitant les lyrics de Saint-Panache avant de penser à parler… mais ça, c’est une autre histoire.

Dans le dernier numéro que j’ai eu entre les mains (by the way, je le ramasse au Métro « en-dessous du pont Jacques-Cartier »), il y a un quelque chose à propos de Pag (ça me rappelle toujours l’époque, au début des années 70, où mon voisin de palier était le drummer du Pag —on allait même parfois regarder Jeunesse d’aujourd’hui chez Pag à l’île-des-Sœurs.

Je me souviens aussi d’une veille de 24 juin, alors qu’une compagnie de boissons commanditait une soirée à l’angle de Berri et Ontario. La scène était installée « en bas de la côte » et le viaduc servait de backstage. Le lendemain, ça allait être le grand spectacle de la Fête nationale (à l’île Sainte-Hélène cette année-là, je crois), mettant en vedette Paul Piché. La soirée était pas mal hot : imaginons la rue Berri noire de monde entre de Maisonneuve et Ontario, avec débordement sur ce qui était l e stationnement du terminus d’autobus et sur ce qui n’était pas encore les jardins de la Bibliothèque national. Assez tard, Flynn est en scène et finit son set (donné en petite formation, max en quatuor, avec Légaré à la basse et Herbie au drum, si je me souviens bien… le reste est vague). Pierre, derrière le piano, hurle une excellente Maudite machine pour une foule qui se fait plus qu’attentive, même respectueuse. C’est le délire, pur, absolu, indiscutable.

La scène est dégagée rapidement. Pag, DeVilliers et un ou deux autres se branchent vite fait… Et l’hymne national (J’entends frapper) résonne comme la proverbiale tonne de briques. Après la Machine, personne ne se trompe sur ce que tout ça « peut et veut » dire.

Meanwhile, backstage, Piché, qui était venu « prendre le pouls » du public avant le show du lendemain, accoudé sur une clôture Mills, se tenait la tête entre les mains pendant que la multitude scandait J’entends-Frap-per, et disait quelque chose comme « J’peux pas l’croire… ».

Le reste du set de Pag and the gang a été à la hauteur (Il tombe des bombes et le reste…).

Tout ça pour dire : malgré ses défauts (certains diraient même ses tares), jusqu’à nouvel ordre, Pag rules et j’aime bien quand on en parle gentiment.

Mais… Pag n’a pas traduit My Way pour en faire Comme d’habitude.

Comme d’habitude est une composition originale (1968) de Claude François avec paroles de Gilles Thibaut. Paul Anka (le petit gars d’Ottawa), qui avait acquis les droits d’en faire une « version américaine », accoucha des paroles et du titre « My Way ». Arrangée par Don Costa, la chanson fut enregistrée par Sinatra… and the rest is history.

Oui, Pag en a fait une fort bonne chose… mais il n’a pas traduit My Way. Comme aurait pu dire Frank (et comme René Angelil doit se le rappeler tous les soirs), « il faut rendre à Caesars Palace ce qui est à Caesars Palace ».

mardi 9 octobre 2007

MALCOLM IN THE MUDDLE — courriel envoyé à M. Richard Martineau

Y’a des fois où il faut quand même écrire…

Dans la chronique de ce matin (La loi blanche), vous mentionnez les « Black Panthers, le célèbre groupe de militants afro-américains dont faisait partie Malcolm X ».

Malcolm X fut assassiné, comme on le sait (ou comme on devrait le savoir) en 1965 (en février, si je me souviens bien).

Quant au Black Panther Party for Self-Defense, (le « BPP », comme ses membres disaient souvent) il fut fondé en octobre 1966.

Donc, il est fort peu probable que Malcolm ait été membre du BPP, même si le BPP se réclamait sans cesse de lui et se référait constamment à ses écrits et discours.

La veuve de Malcolm, Betty Shabazz, a participé à certaines activités du BPP à la fin des années 60. Mais, si je me souviens bien, c’était surtout comme « célébrité » : les gens du BPP avaient en effet l’habitude de désigner bien des gens comme des « honorables » (comme Stokely Carmichael, qu’ils appelaient leur « honorary prime minister »).

Le BPP a été beaucoup de choses… et surtout un symbole. Certains « panthers » étaient, je crois, comme tant d’autres, assez honnêtement et désespérément à la recherche d’une voie qui leur aurait permis de poursuivre ce que Malcolm X avait entrepris ou symbolisé (je crois que c’était le cas, entre autres, de MasaÏ Hewitt, de Zayd Shakur et de quelques autres que j’ai assez connus pour me former une opinion à ce propos).

Il y a aussi eu des « cellules Black Panthers » qui étaient tout « purement » et simplement des « opérations » du FBI ou d’autres services policiers. C’était probablement le cas de la « cellule de Dallas » à laquelle certains felquistes avaient rendu visite à la veille des événements d’octobre.

Pour le reste, il semble certain que plusieurs membres du « chapitre fondateur » d’Oakland participaient, tout en mettant sur pied divers projets communautaires comme les « breakfast programs », à diverses activités dites criminelles. Pour ceux qui voudraient en savoir plus sur le sujet, on ne saurait trop recommander la lecture de Bad : The Autobiography of James Carr (George Jackson avait dit de Carr : « Jimmy was the baddest motherfucker »). Carr en dit aussi pas mal long sur et aussi sur les dérives staliniennes du BPP. On y reconnaît d’ailleurs diverses dérives qui ont aussi affecté d’autres « mouvements de gauche », comme pourraient en témoigner, s’ils le voulaient, plusieurs personnages bien en vue et dont plusieurs de proclament « lucides ». À mon avis, ce petit livre est tout aussi must read que The Autobiography of Malcolm X (un de mes amis —blanc et Canadian, mais tout de même— grand maître de guitare jazz avait l’habitude de refuser d’enseigner quoi que ce soit à un élève qui n’avait pas lu le livre).

Bon… le lien avec le bling-bling, le commerce de la drogue et le reste ? Je ne sais pas, mais…

Malcolm, avant sa « conversion » à l’islam, était un important pusher (notamment pour divers jazz bands et non pas des moindres). Il ne s’en est jamais caché, mais il a toujours dénoncé ce type de criminalité (et, en général, tout ce que, sur un autre registre, Chester Himes et d’autres auteurs noirs, dénonçaient tout en l’illustrant).

Il n’y a pas que « bitch » et « hoe » dans le discours des rappeurs. Il y a aussi ce que disent (ou essaient de dire) les Public Enemy, ou ce que disaient les défunts Notorious B.I.G. et 2Pac Shakur (tiens, c’était le neveu de Zayd, lui-même décédé dans les circonstances dont certains se souviennent… ).

Pour ce qui est des gangs de rue, on peut lire avec intérêt (à cause de la recherche, qui révèle en quelques images asse frappantes merci le « modèle d’affaires » de ces entreprises et l’ampleur de l’aire géographique de leurs empires) et plaisir (à cause de la qualité de l’écriture) Tishomingo Blues d’Elmore Leonard. Et à bien (ou mal) y penser, il y aussi Hard Revolution de Pelecanos pour ne pas oublier le lien entre tout cela et les émeutes dites raciales de jadis.

Bon, on va mettre en ligne sur le playlist de ce soir Attica Blues de Shepp, Black Day in July de Lightfoot et pas mal de Prince, 2Pac, Mingus et Wu-Tang sur le shuffle-play.

jeudi 4 octobre 2007

COMMENT L’INDÉPENDANCE DU QUÉBEC NE S’EST PAS FAITE

Conditions objectives et conditions gagnantes

Entre 1970 et 1980, un certain nombre de « conditions objectives » (notamment au plan de la démographie) auraient pu permettre de réaliser l'indépendance du Québec. Il y avait là une « fenêtre d'opportunité », comme disent les opportunistes. Mais des « conditions objectives » ne sont pas nécessairement des « conditions gagnantes » : les autres conditions, et notamment les conditions politiques, n'étaient pas au rendez-vous, comme l'histoire en témoigne.

Par-dessus tout, les gens qui avaient été élus pour faire l'indépendance n'y croyaient pas ou n'en voulaient pas. Ils (et elles) n'ont jamais pris les mesures nécessaires pour la faire.

It's a time I remember oh so well..

Pour comprendre un peu les origines de la chose, il faut se reporter au début de 1969, à l'époque de l'« Opération McGill français ». Cette manifestation (qui allait « mettre dans la rue » plus de 10 000 personnes malgré, comme nous allons le voir, un climat de panique et de peur savamment orchestré par tous les partisans du statu quo) portait une revendication toute simple : la transformation de l'université McGill en université francophone et « populaire ».

Dans les semaines précédant la manifestation, l'administration montréalaise, avec l'appui des « gouvernements supérieurs », avait créé un climat d'affrontement en multipliant les provocations, en procédant à des perquisitions « musclées » dans tous les milieux proches de l'organisation, en saisissant le matériel publicitaire relié à la manifestation et en détenant illégalement certains des organisateurs. Néanmoins, tout indiquait que beaucoup, beaucoup de gens avaient la ferme intention de participer à la manifestation.

À l'avant-dernière minute, n'écoutant que leur courage, certains intrépides leaders étudiants de l'automne 1968, dont monsieur Pierre-Paul Roy, madame Louise Harel et monsieur Claude Charron, de concert avec le vénérable Michel Chartrand , se dissocièrent bravement de toute l'affaire, dénoncèrent les organisateurs de la manifestation et supplièrent les gens de rester chez eux.

La position du tireur couché et ses limites

Dès cette époque, ces gens-là, qui allaient devenir des piliers du Parti québécois, avaient montré comment ils croyaient (et croient toujours) qu'on peut faire changer les choses : en se terrant à la maison quand les choses se corsent .

On aurait dû y penser avant : pour qu'il y ait du véritable changement, l'astuce est de ne rien faire et surtout d'encourager les autres à ne rien faire ; quelle stratégie merveilleuse et innovatrice ! Machiavel, Jomini, Sun Tsu et Clausewitz pouvaient aller se rhabiller ! C'est Snoopy qui a raison : il suffit d'imaginer qu'on se bat contre le Red Baron pour gagner la guerre.

L'astuce suprême de ces gens, dont certains s'affichent aujourd'hui comme des « francs-tireurs », c'est le fin du fin : adopter la position du tireur couché… mais sans fusil ! Ça et la cage à homards à monsieur Parizeau, c'est full winner !

Michel C., d.s.c. (démobilisateur sous contrat)

Évidemment, dans le cas de monsieur Chartrand, on ne pouvait pas vraiment s'attendre à autre chose : il avait déjà démontré à quel point il était le maître incontesté de la démobilisation ronflante. Certains se souvenaient (et se souviennent peut-être encore) comment madame Harel et monsieur Charron, alors dirigeants de l'Union générale des étudiants du Québec, dépassés par le mouvement des occupations, avaient fait appel aux bons offices de Chartrand, inattaquable et irréprochable sous sa chemise rouge, pour les aider à démobiliser les étudiants à l'automne 1968.

On ne saura probablement jamais dans quelle mesure monsieur Chartrand rendait une fois de plus de signalés services à certains de ses anciens comparses de l'époque de la grève de l'amiante, comme Jean Drapeau et Pierre Trudeau qui étaient devenus respectivement maire de Montréal et premier ministre du Canada.

Il ne fallait pas non plus se surprendre de la pleutrerie de madame Harel, de monsieur Charron et de plusieurs autres : ils ne faisaient que continuer une tradition bien établie parmi les « leaders étudiants » québécois. Ils avaient de qui tenir, comme on va le voir.

Le cas Landry

En 1968-1969, le jeune Bernard Landry, bright boy parmi les bright boys et lui-même ex-leader étudiant, travaillait comme « conseiller spécial » auprès du ministre de l'Éducation. Pendant la vague d'occupations et de grèves étudiantes de 1968 et 1969, Landry jouait à toutes fins pratiques le rôle d'un super-indicateur de police ; son boulot était d'identifier les « points chauds » et d'aider à « cibler » les interventions policières . Quel édifiant dévouement à « la cause » de la démocratie, de l'indépendance et du socialisme !

Des années avant monsieur Claude Morin, Bernard Landry avait compris que la meilleure façon de favoriser le développement d'un mouvement, c'est de collaborer activement avec la police chargée de le réprimer ! Des années d'études dans les « grandes écoles » pour en arriver à ce merveilleux raisonnement ! Dire qu'il y s'est trouvé des gens pour croire qu'on ferait l'indépendance du Québec avec une pareille bande de pleutres et de stools aux commandes du navire !

Comme disait le bonhomme…

Marx, dressant le bilan de la Commune de Paris, avait fait le triste constat suivant : « Dans toute révolution, il se glisse, à côté de ses représentants véritables, des hommes d'une toute autre trempe ; quelques-uns sont des survivants des révolutions passées dont ils gardent le culte ; ne comprenant pas le mouvement présent, ils possèdent une grande influence sur le peuple par leur honnêteté et leur courage reconnus, ou par la simple force de la tradition ; d'autres sont de simples braillards, qui, à force de répéter depuis des années le même chapelet de déclamations stéréotypées contre le gouvernement du jour se sont fait passer pour des révolutionnaires de la plus belle eau. [...] Dans la mesure de leur pouvoir ils gênèrent l'action réelle […] tout comme ils ont gêné le plein développement de toute révolution antérieure. » Voilà le véritable rôle qu'ont joué les tristes sires et les tristes dames dont nous venons d'évoquer certaines des bassesses.

Corneille (Pierre, pas l'autre), plus concis, se serait contenté de dire : « Ô rage ! Ô désespoir ! »

On a la mafia qu'on mérite

En 1970, à la veille des « événements d'octobre », on pouvait lire sur les murs de la toute nouvelle Université du Québec à Montréal un graffiti qui disait, « Le FLQ, c'est le bras armé du PQ, comme la mafia pour les vieux partis ». Évidemment, c'était bien avant que le PQ ne prenne le pouvoir. Pour le meilleur et pour le pire, et contrairement à ce qu'écrivait l'auteur de ce graffiti, le PQ a été un parti désarmé à tous les points de vue. Là où les libéraux et la défunte Union nationale avaient des vrais mafieux (des made-men, des mafieux full-patch, comme on dira plus tard) pour les épauler, le PQ s'est contenté de simili-mafieux et de sous-Béria.

Revenons à notre propos

Le constat s'impose : l'indépendance ne s'est pas faite, en grande partie, parce que la majorité des « séparatistes », des « indépendantistes » et des « souverainistes » n'ont jamais voulu prendre les moyens nécessaires pour la faire. La chose est particulièrement évidente quand on considère leur attitude envers les provocations et les infiltrations de toute sorte.

S'ils ont été manipulés par toutes les agences et services de renseignement et de provocation politique d'Amérique, de France, de Navarre et d'ailleurs (on se rendra bien un jour à l'évidence : les opérations policières connues, comme les « cas » Claude Morin ou Carole Deveault n'étaient que la pointe d'un formidable iceberg), c'est parce que, au fond, ils l'ont bien voulu.

(Not) Watching the Detectives

Certes, les partis marginaux des « débuts », comme le Rassemblement pour l'indépendance nationale (RIN), le Rassemblement national (RN) et le jeune Parti québécois pouvaient plaider le manque de moyens pour excuser leurs lacunes terribles et leur naïveté en matière de « sécurité ». Mais l'excuse ne valait pas pour un parti qui, comme le Parti québécois, avait réussi à former un gouvernement plutôt solide et qui aurait dû par conséquent « contrôler les leviers de l'État ».

Les gouvernements de Lévesque, de Pierre-Marc Johnson, de Parizeau et de Landry auraient pu créer, au sein de la Sûreté du Québec (ou ailleurs dans l'appareil : je ne suis pas un spécialiste en la matière) un service de renseignement chargé de contrer les manœuvres de manipulation, d'infiltration et de provocation comme celles de Morin et de tant d'autres.

Ce service (voire un ou plusieurs autres services du genre : on sait l'importance, en ce domaine, de diviser les limiers pour brouiller leurs pistes ) aurait aussi pu travailler de façon « proactive » à déstabiliser et à discréditer les agents canadiens et autres qui, de leur côté, faisaient tout pour déstabiliser et discréditer le gouvernement du Québec.

C'est ce que tout gouvernement sensé et véritablement responsable aurait dû et devrait, le cas échéant, faire. Pas gentil ? Sans doute. Odieux ? Dans bien des cas, oui. Salissant ? Toujours. Mais c'est ça qui s'appelle « protéger l'intégrité de l'État »… dans la mesure où on croit à un État québécois.

C'est ce que les péquistes, une fois « arrivés au pouvoir », ont obstinément refusé de faire, même lorsque confrontés à l'évidence de la perversité absolue des façons de faire des services fédéraux . Ils ont laissé en place les systèmes échafaudés par les gouvernements précédents. Ils ont maintenu en poste (et en postes) toute la racaille qui, à divers échelons de l'appareil policier québécois, travaillait (et travaille toujours) avec ses complices de Bytown et d'ailleurs, non seulement contre l'indépendance du Québec, mais contre le gouvernement du Québec, quelle que soit la couleur ou l'orientation de ce gouvernement.

Enquêtez, enquêtez.. il restera toujours quelque chose

Incroyable mais vrai, même après l'enquête Keable, même après l'affaire Morin, il n'y a pas eu de réforme de l'aile politique de la Sûreté du Québec ! Comme on fait son lit, on se couche… La Sûreté du Québec et ses services de renseignement protègent toujours la province de Québec contre elle-même, autrement dit, contre ses velléités « séparatistes » et « communistes » : les héritiers d'Hilaire Beauregard sont peut-être un moins mal éduqués et un peu moins corrompus que leurs prédécesseurs, mais leur mission demeure la même. Duplessis, au moins, contrôlait la « police provinciale » de son temps : elle pouvait espionner tout le monde, sauf l'Union nationale. Aujourd'hui, la police politique du gouvernement québécois échappe au contrôle de ce dernier : elle se rapporte et obéit aux gens de Bytown. Cette police provinciale croit toujours, comme au temps de Duplessis et de Drapeau, que tout ce qui bouge, à défaut d'être obscène, est suspect. Et rien ne porte à croire qu'aucun gouvernement québécois lui ait jamais donné d'autre mandat.

Un immobilisme en cache un autre

Comme disait Machiavel dans sa sagesse, « enlever à Rome les semences de troubles, c'était aussi lui ravir les germes de sa puissance . ». C'est ainsi qu'on affaiblit et qu'on dilue ce que le Québec pourrait devenir : ce n'est pas l'État qu'on protège, c'est le statu quo. Nos sociétés souffrent en effet d'un certain « immobilisme ». Mais il ne s'agit pas de l'immobilisme dont certains bien-pensants accusent les quelque centaines de manifestants de la « société civile » qui descendent dans la rue quelques fois par année pour protester plus ou moins mollement contre tel ou tel projet de saccage appréhendé des quelques lambeaux d'« environnement » qui restent. Non, le véritable immobilisme, c'est celui qui repose sur le contrôle policier exercé sur la sphère politique au nom de « Sa Majesté du chef du Canada représentée par son ministre… », comme ils disent dans les textes officiels.

« On sait pas ce qui se passe, mais on a le contrôle ! »

Les gens qui, au fil des ans, ont contrôlé le Parti québécois étaient d'abord et avant tout soucieux, comme les potentats de l'Union nationale et du Parti libéral avant eux, de rassurer « les Anglais », « la haute finance », « les Américains » et, en général, tous ces gens qui les fascinaient et qui incarnaient « le vrai pouvoir » à leurs pauvres yeux de journalistes, de professeurs d'université, de médecins, d'avocats ou de notaires d'envergure relativement modeste. L'obtention d'un satisfecit de la part des « milieux financiers »était chez eux une véritable obsession. C'est ainsi que la capitulation du Québec, entamée mais non consommée au lendemain de la bataille des Plaines d'Abraham et du retrait des troupes françaises de la vallée du Saint-Laurent, allait devenir totale. Certains ministres et députés bien intentionnés du premier gouvernement Lévesque se ruinaient la santé à force de faire la navette entre Québec, Montréal et New York (souvent à des heures impossibles et en utilisant, dit-on, leur voiture personnelle !) dans le but de « calmer Wall Street ». Pourquoi faire autrement ? Au lendemain de la « crise d'octobre », les « deux Pierre » (Bourgault et Vallières) n'avaient-ils pas rivalisé d'ardeur pour dénoncer, à l'instar de René Lévesque, de Claude Ryan et des autres, toute forme de violence ? On venait de donner le ton de toute la démarche indépendantiste des années à venir.

Hélas, trois fois hélas ! On ne peut pas faire deux choses à la fois : déployer une stratégie visant à faire pression sur les fédéralistes et leurs amis pour qu'ils finissent par lâcher prise et en même temps leur dire qu'au fond on ne leur en veut pas et qu'on est prêt à tout faire pour leur plaire. Traumatisés par le souvenir de la crise d'octobre, manipulés de tous les côtés et soucieux d'être « un bon gouvernement », les péquistes n'ont jamais osé ne fût-ce que songer à faire ce qui aurait rapidement amené Bytown, Bay Street, Wall Street et toutes les autres Streets à les prendre au sérieux : par exemple, prendre les mesures nécessaires pour être en mesure de nationaliser la portion québécoise de la Saint-Lawrence Seaway, et au besoin de la bloquer, comme Nasser l'avait fait (avec un certain succès, si on se souvient) pour le Canal de Suez.

Pas besoin d'avoir étudié dans les grandes écoles de Londres ou de Paris (comme messieurs Parizeau ou Landry) pour comprendre ça. René Lévesque et ses joyeux troubadours voulaient nous faire croire qu'ils étaient les Nasser de l'Amérique du Nord : en effet, la Saint-Lawrence Seaway et les barrages québécois se comparent avantageusement à ceux du Nil quant aux dommages qu'ils ont causés. Au moins, à Assouan, on a quand même sauvé un semblant de vestiges historiques, tandis qu'ici …

Le « mouvement réel »

Il y a quelques années, le professeur Desmond Morton nous rappelait la question posée par certains des assistants de Lord Durham à propos des origines des rébellions de 1836-1837 : « Would the Canadian oligarchies have driven people to rebellion […] if their arrogance was not backed by a British garrison ? ». Les oligarques québécois de 1969-1970, les Drapeau, les Bourassa et autres Jérôme Choquette ont agi exactement comme le Family Compact et la « Clique du Château » du siècle précédent : ils ont poussé, par leur inflexibilité et leur arrogance, un nombre considérable de gens à la révolte. Cette fois, la Gendarmerie royale du Canada et l'armée canadienne avaient pris la relève de la garnison britannique et protégeaient les arrières des potentats locaux… tout en les « pompant » à grand renfort de « rapports confidentiels » sur des complots appréhendés souvent ourdis par leurs propres informateurs et provocateurs…

Le Québec de 1970 tentait, de peine et de misère, de sortir de la dynamique décrite par le Frère Untel quelques années auparavant, celle d'une « autorité crispée et monolithique, qui croit ne pouvoir céder sur un point sans risquer de crouler tout entière. » Autrement dit, tout comme en 1837-38, les « conditions objectives » étaient réunies pour de beaux dégâts. Mais cette fois-ci, le Bas-Canada se retrouverait isolé dans la bataille, contrairement à ce qui s'était produit à l'époque de Louis-Joseph Papineau et de William Lyon Mackenzie, alors que la révolte avait secoué à la fois le Haut et le Bas Canada.

Le Canada : un bonhomme sept heures

Le Canada est un pays fondé sur la peur. Comme Desmond Morton le rappelle, à la conférence de Charlottetown, « every problem was linked to the fear of war and invasion ». La peur, notamment des Fenians, allait demeurer le ciment de la confédération canadienne longtemps après 1867 : « … the Fenians […] united the country as nothing else could. […] For a couple of generations, Fenians became the handiest bogey for any Canadian politician faced with unrest or disaffection. »

Après les Fenians vinrent les anarchistes, après les anarchistes, les communistes et ainsi de suite. Un siècle après la Confédération, c'était au tour des « séparatistes » de jouer les épouvantails pour le plus grand profit des pères fondateurs (et des mères fondatrices) du Canada multiculturel d'aujourd'hui.

mardi 2 octobre 2007

QUÉBEC, MONTRÉAL, OTTAWA : TRIANGLE INFERNAL, CERCLE VICIEUX

« Comme toutes ces villes sont, à leur origine, privées de liberté, rarement parviennent-elles à faire de grands progrès et à compter au nombre des grandes puissances »

— Machiavel, Discorsi, I, 1

« Mais je l'aime, ma ville qui se meurt.
Ce serait pas facile d'être ailleurs. »

— Pierre Flynn

Montréal : grandeur, décadence, tristesse et gaieté

Malgré tous les festivals plus ou moins artificiels qui la font (dit-on) vibrer (on a les vibrations —et, dirait probablement le doc Mailloux, les vibrateurs— qu'on peut !), Montréal est une ville profondément triste (André Boulerice me corrigerait certainement en soulignant que « son » village, au moins, est plutôt gai… même si j'y habite !).

Qu'on se le dise une bonne fois pour toutes : Montréal a été définitivement supplantée (malgré tout ce que ce qui grouille, grenouille et scribouille peut dire ou écrire) par Toronto comme métropole du Canada . Et disons aussi, d'entrée de jeu, que tous les discours à propos de la « métropole culturelle » ne sont que balivernes et billevesées (ce qu'on appelle communément de la bullshit).

Talkin' 'bout Toronto

Toronto a tout, tout, tout, à commencer par des montagnes de fric et une incroyable concentration de population et d'entreprises publiques et privées. Côté transport aérien, si on atterrit à l'aéroport des îles, on peut se rendre à pied au centre-ville ; quant à l'aéroport Pearson, on peut s'y rendre facilement en utilisant le transport en commun. Toronto a des « équipements culturels » infiniment supérieurs, en nombre, en variété et en qualité, à ce que l'on trouve à Montréal : théâtres publics ou privés, salles de concert, musées, galeries et tout et tout. La « Maison de Radio-Canada » du boulevard René-Lévesque a l'air d'une bécosse quand on la compare au CBC Broadcasting Centre de la rue Front . Il y a de la musique live dans une foule d'endroits (bars, restaurants et le reste) où le « prix d'admission » est largement inférieur à ce qui se pratique à Montréal.

Il y a beaucoup à dire à propos du retard de Toronto (et de l'Ontario en général) au plan du soutien aux artistes et des mesures sociales. Mais, ô surprise, il y a, entre autres choses, une coopérative d'habitation au beau milieu du Harbourfont (imaginez ça sur la rue de la Commune ou sur le canal Lachine !), dont la « mission » est d'offrir un logement abordable (il y en a plus d'une centaine) à des gens qui travaillent dans le domaine des arts. Meanwhile, à Montréal, on n'a pas encore réglé le cas de l'ex-Grover !

By the way, pour ce qui est de l'alimentation et de la gastronomie, « dollar pour dollar », on en a plus pour son argent à Toronto qu'à Montréal. Probablement parce que les règlements municipaux sont moins contraignants là-bas.

Et il n'y a pas seulement les restaurants. Parlons des marchés dits publics. Le marché jean-Talon ? Une joke, si on le compare au Kensington Market… dont presque toutes les échoppes seraient condamnées séance tenante et sans appel par les services de surveillance de la rectitude alimentaire qui sévissent à Montréal.

Autrement dit, pour fesser encore sur le clou (« Fesse ce que doi(g)t », comme ne disait pas tout à fait la devise qui n'apparaît plus en frontispice du Déboire), Montréal a été totalement, intégralement, irréversiblement et irrémédiablement supplantée par Toronto.

Que les entreprises Rozon menacent de délocaliser certaines de leurs activités à Toronto, c'est normal : à Toronto, il y a tout, sauf eux. C'est, comme aurait pu dire un de nos ancêtres normands, à la fois « grave et pas grave » : Montréal, alors qu'elle était capitale financière, a survécu (plus ou moins bien, mais survécu quand même) au « coup de la Brink's ». Elle saura certainement survivre aux menaces de coup de la Brink's culturel que brandissent Rozon et consorts.

Don't Let's look back

Comment comprendre le déclin de Montréal ? On a souvent accusé ses « gouvernements supérieurs » d'être responsables de cet état de choses. Comme nous le verrons, ils sont loin d'être innocents. Toutefois, ils ne sont pas les seuls responsables du déclin de Montréal. Prétendre le contraire, ce serait faire abstraction d'un facteur critique : l'ineptie historique des administrations montréalaises.

On l'a déjà dit : les hommes — et les femmes, d'ailleurs — sont très souvent les artisans de leur propre malheur. Ceci est particulièrement vrai des Montréalais (et des Montréalaises), lesquels ne cessent de blâmer les autres —et tout spécialement les gouvernements d'Ottawa et de Québec— pour les maux dont ils souffrent. Un regard sur l'histoire récente nous révèle une réalité bien différente ; Montréal a contribué à sa propre décadence en confiant sa destinée à des administrations comme celles de Drapeau, de Doré, de Bourque ou de Tremblay (sans oublier celles des ineffables Camilien Houde et Sarto Fournier).

Heart of Darkness

Malgré l'indéniable (et coupable) part de responsabilité des niveaux politiques dits supérieurs —si feu Pierre Trudeau et son copain Marc Lalonde n'avaient pas encouragé la démence paranoïaque de Drapeau en octobre 1970, si « Honest Bob » Bourassa n'avait pas cautionné l'orgie de dépenses olympiques de 1976, les choses auraient certes pu prendre un tournant fort différent— il n'en demeure pas moins que Montréal doit cesser de prétendre que « les autres » sont les grands responsables de sa décadence et de sa misère. Drapeau, Doré, Bourque et Tremblay n'ont pas été imposés « de main forte » aux Montréalais et aux Montréalaises par Duplessis, Lesage, Johnson, Bourassa, Lévesque, Trudeau ou Landry. Ils ont tous été élus « en bonne et due forme » par l'électorat montréalais qui marchait au pas sous la houlette de la « Patente » ou du backroom, selon l'époque. Les Montréal et les Montréalais doivent reconnaître et assumer la triste réalité : ils sont les premiers responsables de l'actuel état de choses, de la décadence de Montréal. Ils doivent admettre que les causes de leur déconfiture actuelle résident d'abord et avant tout chez eux.

Montréal métropole… au dix-neuvième siècle

Montréal était il y a longtemps —bien avant Expo 67 et avant même la proclamation de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique— une des villes les plus importantes du nord-est de l'Amérique (qu'on s'entende bien : je parle de l'Amérique « toutes catégories confondues », de l'ensemble de l'Amérique du Nord, qu'elle soit « britannique » ou non).

Souvenez-vous : on a livré plusieurs batailles pour Montréal (et pour Québec), mais aucune pour Toronto ou Ottawa (ci-devant Bytown). On l'oublie trop souvent : le cœur industriel de l'Amérique du Nord britannique, le berceau de sa révolution industrielle, ce n'était pas Hamilton ni Oshawa, mais les abords du canal Lachine.

Bien avant que Bay Street existe, la rue Saint-Jacques était le repaire principal des grands financiers de l'Amérique du Nord britannique. Même si les artistes d'aujourd'hui croient avoir inventé ab nihilo la culture québécoise, Montréal était un centre culturel de premier plan bien avant la construction de la Place des Arts, la création du ministère de la Culture et la mise sur pied des divers Conseils des arts.

En 1850, les gens de Toronto accusaient Montréal de monopoliser la richesse du dominion et de profiter indûment de la politique britannique de laisser-faire et de libre-échange . En 1871, alors que Montréal comptait déjà 100 000 habitants, Toronto était tout au plus un « oversized village dominated by men of narrow views » qui comptait tout juste 50 000 « âmes ».

Comment les avantages stratégiques disparaissent

Pendant longtemps, Montréal avait profité de sa situation géographique privilégiée pour s'affirmer comme métropole de l'Amérique du Nord britannique : située à la jonction du Saint-Laurent et de la rivière des Outaouais, à proximité immédiate de l'axe de commerce nord-sud constitué par le complexe hydrographique Richelieu-Hudson, elle était (surtout après le dragage du lac Saint-Pierre) le port le plus près du cœur du continent accessible aux navires de haute mer, le point de transbordement obligé entre la navigation océanique et celle des Grands lacs. De plus, d'importantes ressources hydrauliques (au sud de l'île, du côté de Lachine et au nord, aux abords du Sault-aux-Récollets) avaient favorisé l'implantation d'industries manufacturières.

Ces avantages stratégiques furent éventuellement grandement diminués par deux technologies :le chemin de fer et l'hydroélectricité. Pour des raisons évidentes, la construction du chemin de fer transcanadien rendit le canal de Lachine moins « incontournable ». Quant à l'hydroélectricité, elle permettait littéralement de transformer l'énergie hydraulique et de la transporter pratiquement n'importe où.

Enfin, les derniers avantages dont jouissait Montréal à cause de sa position géographique allaient être réduits à presque rien avec l'ouverture, à la fin des années cinquante, de la Voie maritime du Saint-Laurent. En effet, cette nouvelle voie navigable allait permettre aux navires océaniques de se rendre jusqu'aux ports des Grands lacs et causer des transformations majeures et catastrophiques du tissu socio-économique de Montréal.

That old man river…

Avec le recul, on peut résumer la chose en termes simples : « Quand le premier bateau a franchi les écluses de la Voie maritime, la prospérité est embarquée à bord et elle est partie pour Toronto. » Le drame de Montréal tient en grande partie à ce que les élites montréalaises de l'époque n'ont rien fait pour prévenir les coups et contrecoups de l'ouverture de la Voie maritime. Elles ont bêtement et béatement regardé le bateau passer, franchir les écluses et voguer vers son destin sur les flots bleus des Great Lakes. Elles n'ont pas protesté ; bien au contraire, elles ont célébré le départ du bateau. Il faut dire que nombreux étaient ceux qui, parmi l'establishment montréalais, avaient flairé la bonne affaire et avaient déjà commencé à déplacer leurs intérêts vers Toronto.

L'ouverture de la Voie maritime représentait le parachèvement de la dislocation des axes naturels de commerce qui reliaient Montréal au nord-est des États-Unis. Cette dislocation, qui était au cœur même du projet confédératif canadien , avait été entamée au dix-neuvième siècle par la construction du chemin de fer transcanadien. La supplantation de Montréal comme métropole du Canada est la conséquence directe —en fait, la condition même de la réalisation pleine et entière— du Canadian dream. Montréal a été la grande victime de la Confédération. Au fond, le cri de guerre des MacDonald, des Tupper, des McGee et des autres Maritimers et Upper Canadians était clair : delenda Montréal ! Il leur aura fallu plus de cent ans pour arriver à leurs fins, mais chez les anglicans et les presbytériens imbus des traditions du vieil empire britannique, on sait être patient.

En 1967, le Canada venait avec une belle impudence fêter son centenaire sur les « îles de l'Expo ». En réalité, il s'agissait d'un odieux pied de nez à cette ville qui, après avoir été lourdement mise à contribution pour assurer le développement de l'ensemble du Canada (pour ne pas parler du reste de l'Amérique, et notamment de l'immense arrière-pays qu'était le « territoire de la Louisiane » bradé aux Américains par Napoléon), était en train d'être reléguée, pour le plus grand plaisir (et le plus grand profit) des orangistes du Canada central, au rang de « second city ».

Montréal aurait pu, dès l'annonce des travaux de la Voie maritime dans les années 1950, préparer sa transition vers l'époque postindustrielle. Le mal était facile à diagnostiquer, les remèdes étaient déjà connus. Il aurait suffi de quelques décisions politiques un peu éclairées (la fusion des municipalités et des commissions scolaires de l'île, la nationalisation de l'université McGill et sa fusion avec l'université de Montréal), de quelques investissements stratégiques (dans le réseau routier, dans le transport en commun et dans l'éducation, par exemple) pour permettre à Montréal de conserver sa prééminence en tant que place financière, de même que son rôle central en matière de télécommunications, de transport aérien et de culture, et pour lui assurer une place dans le développement des nouvelles industries de pointe et de la future « économie du savoir ».

Évidemment, on ne pouvait pas s'attendre à de telles décisions avec Duplessis au pouvoir à Québec et les pauvres types que l'on sait à la mairie de Montréal. On aurait toutefois pu s'attendre à mieux de la part de « l'équipe du tonnerre » qui avait accouché de la Révolution tranquille. Mais qu'ont fait ces nouvelles élites, les précurseurs et maîtres à penser des smattes d'aujourd'hui, une fois au pouvoir ? Tout simplement, au lieu de prendre le taureau par les cornes et de doter rapidement la métropole vieillissante des pouvoirs, des politiques, des ressources et des infrastructures dont elle avait désespérément besoin, elles ont tout fait pour aggraver la situation.

Depuis la révolution tranquille, les jeunes louveteaux provinciaux ont dépensé sans compter pour faire de Québec la « capitale nationale », y construisant notamment l'infrastructure routière et les équipements culturels dont Montréal avait besoin. L'« équipe du tonnerre » de Lesage, de Lévesque, de Kierans et de Gérin-Lajoie aurait facilement pu « envoyer les bons signaux » pour le développement de Montréal, mais elle n'en a rien fait. De plus, sous prétexte que « quand le bâtiment va, tout va », les gouvernements successifs issus de la révolution tranquille ont adopté une foule de mesures et de programmes qui ont favorisé l'étalement urbain et la formation du « trou de beigne » montréalais. Les « gars de Québec » ont tout fait pour que Montréal redevienne la bourgade d'Hochelaga. Trop heureux de voir Montréal se couvrir de dettes, le gouvernement provincial de Québec ne se gênait pas pour donner son aval aux folles dépenses de Jean Drapeau, puis à diverses initiatives politiques et administratives plus que douteuses de messieurs Doré et Bourque.

John Flag

On se doit de porter un jugement spécialement sévère à l'endroit de monsieur Jean Drapeau. Ce dernier, ayant convaincu l'électorat montréalais (la « populace », comme il disait) que l'univers avait commencé avec lui, s'était inventé le mandat de « mettre Montréal sur la map ». Ainsi fut justifié un des plus splendides gaspillages d'argent public jamais vus, Expo 67.

On l'a vu, Montréal était déjà solidement « sur la map » et depuis longtemps. Au milieu des années soixante, il ne s'agissait pas pour Montréal de « se mettre sur la map », mais de s'y maintenir malgré les politiques fédérales de développement qui favorisaient depuis au moins un siècle le Upper Canada.

Pendant que Toronto bâtissait méthodiquement son infrastructure, et alors même que Montréal se faisait allègrement évacuer de la map des affaires par le Canada central, Drapeau et les autres smattes « bien de chez nous » nous convainquaient que ce que nous avions de mieux à faire, c'était d'organiser un gigantesque party au lieu de regarder la situation bien en face et de prendre les mesures qui s'imposaient pour relancer le développement de Montréal sur des bases solides. Pis encore : à peine dix ans plus tard, Drapeau récidivait avec les Jeux olympiques de 1976.

Jean qui rit, Jean qui pleure

Certains auteurs, et pas des moindres, ont jadis fait remarquer que l'histoire se jouait d'abord en tragédie et se répétait ensuite en comédie. L'histoire récente de Montréal innove en la matière : avec le recul, 1967 apparaît comme une douce comédie (on se réjouit encore à la mémoire de l'Expo et des parties de jambes en l'air de l'époque) alors que 1976 est un sombre drame (on n'a pas fini de pleurer sur le déficit olympique). Mais il faut souligner qu'Il n'ya pas eu solution de continuité entre les deux entreprises : les incroyables malversations de 1976 n'ont été possibles que parce que le système intégré
de procédure douteuse pour l'octroi de contrats, de tolérance envers les dépenses somptuaires et de banalisation de la corruption hérité de 1967 était encore en place : c'est pourquoi Drapeau et sa bande ont pu le réactiver en espérant qu'une fois de plus la « populace » n'y verrait que du feu.

On ne le répétera jamais trop : si elles ont été encouragées et utilisées à leurs propres fins par les potentats d'Ottawa, de Québec et de Toronto, les deux folies furieuses que furent Expo 67 et les Jeux olympiques de 1976 n'ont pas été imposées aux contribuables montréalais par Ottawa, Toronto ou Québec. Les Montréalais ont été parfaitement capables d'en prendre eux-mêmes l'initiative... par maires, conseillers, affairistes et backroom boys interposés. Il en va de même pour l'ensemble de la vie montréalaise.

Montréal n'a pas eu besoin des gouvernements dits supérieurs pour conclure des ententes ruineuses avec ses employés, et notamment avec ses policiers. Si Drapeau avait réagi face à la réelle menace que représentaient ses policiers comme il l'avait fait avec l'imaginaire menace du FLQ, les finances publiques auraient peut-être encore un certain bon sens : ce sont les ententes ruineuses avec les policiers de Montréal et le scandaleux manque de contrôle sur cette même police qui ont donné le coup d'envoi de l'escalade dans les coûts des services publics.

Montréal n'a pas non plus eu besoin des gouvernements dits supérieurs pour mal gérer l'ensemble de ses relations de travail, au point de provoquer le « week-end rouge », l'assaut des « cols bleus » contre l'hôtel de ville et tant d'autres épisodes semblables. Pareillement, ce ne sont pas les gouvernements prétendument supérieurs qui ont ordonné à Jean Doré et à Léa Cousineau de ne pas tenir de consultations publiques sur les questions de fond —les privatisations et la manière d'assurer le maintien de services publics universels, gratuits et de qualité— au lieu de le faire sur mille questions de détail et de discréditer ainsi la consultation alors même qu'ils ouvraient leurs antichambres —et leurs oreilles— aux partisans des privatisations. Non : ces snoros-là ont été assez ratoureux pour le faire eux-mêmes, sans même avoir besoin — pas plus que Houde, Drapeau et Sarto Fournier avant eux— de l'aide des wise guys de Bytown, de Toronto ou de Québec.

Du partage des responsabilités

Si les Montréalais et les Montréalaises sont, en principe, directement responsables du « verdict des urnes » lors des élections municipales, il ne faut pas minimiser l'influence que peuvent exercer les machines politiques fédérales et provinciales sur ces résultats. Montréal n'est d'ailleurs pas unique à ce chapitre.

Partout au Québec, la relation entre politique municipale, politique provinciale et politique fédérale est perverse et multiforme : le maire appuie ou non le député provincial qui appuie ou non le député fédéral qui appuie ou non le maire, et ainsi de suite, souvent de génération en génération. Cela déteint d'ailleurs de plus en plus sur d'autres niveaux d'administration et de gouvernance : commissions scolaires, conseils d'établissements scolaires ou de santé, et le reste et le reste…

Cela peut être fort distrayant dans une petite ville —ça donne de pittoresques scènes dignes des meilleurs moments de Don Camillo ou de Manon des sources—, mais c'est un luxe que Montréal, entre autres, n'a tout simplement pas les moyens de se payer. Il faut en finir une fois pour toutes avec la politique des bouts de rue et avec le maquignonnage électoral… surtout quand ces magouilles portent sur des projets aussi importants que le déménagement du Centre hospitalier universitaire de Montréal ou du Centre de santé de l'Université McGill .

Plusieurs, parmi la fine fleur de l'aristocratie politique fédérale et provinciale, devraient faire un sérieux mea culpa. Leurs fidèles « travailleurs —et travailleuses— d'élection », les machines électorales tant « rouges » que « bleues » qui ont sciemment et aveuglément contribué aux deux victoires psychotroniques de Pierre Bourque, puis à la prise du pouvoir par le ci-devant parfumeur Tremblay, portent une lourde responsabilité pour les gâchis présents et à venir.

On aurait pu croire que les patrons de ces machines auraient eu la décence de présenter des excuses... mais il n'est surtout pas dans la nature du backroom de reconnaître qu'il se trompe parfois (et qu'il nous trompe toujours). Au contraire, les backroom boys ne cessent d'en remettent, car ils ont trouvé une solution win-win : les travailleurs d'élection des partis fédéraux et provinciaux se mettent, selon le territoire, au service de n'importe quelle formation municipale, un peu selon les directives du député, un peu à la tête du client. C'est le triomphe de l'impartition et du need to know. Ainsi, les dettes électorales sont à sens unique : l'élu municipal « doit » aux autres, mais aucun parti fédéral ou provincial ne peut être accusé d'avoir favorisé un parti municipal plutôt qu'un autre.

L'aigle, le bœuf et l'âne

Le résultat de tout cela est aussi facile à constater qu'il est profondément navrant. Si le Québec vit, selon l'expression du stalinien repenti (tendance cambodgienne : chez ces gens-là, on est toujours très tendance !) Jean-François Lisée, « dans l'œil de l'aigle », Montréal est pour sa part sujette aux regards malveillants, inquisiteurs et concupiscents de deux paires (certains diraient un « quartette ») d'yeux assez torves merci : l'œil du castor (qui continue d'agrandir et de fortifier sa hutte en haut des rapides de Bytown) et l'œil du mouton (qui, en attente du petit Jésus annoncé et promis par Jean le Baptiste, crèche toujours avec ses compères le bœuf et l'âne près des Plaines du vieil Abraham).

La bataille qui visait à réduire Montréal (et qui s'est terminée par la victoire non équivoque de Toronto), c'était la poursuite, par d'autres moyens, de la guerre opiniâtre menée par l'Upper Canada pour écraser le Québec. Il faut dire que dans cette guerre, les Family compacts de Toronto et de Bytown ont toujours pu compter sur de puissants alliés : les élites du Québec dit profond, alliées aux Westmounters, aux Town of Mount-Royalers et autres West Islanders (dont les intérêts sont essentiellement Canadian) ; tout ce beau monde-là n'a jamais voulu d'un Montréal fort, pas plus que d'un Québec indépendant.

And the rest is history… comme ils disent.


lundi 1 octobre 2007

SHAKE HANDS WITH CHRISTIANE ?

MESSAGE EXPÉDIÉ À L'ÉQUIPE DE MADAME CHARETTE SUITE À UN «SEGMENT» À PROPOS DE Shake Hands with the Devil

C’était Clemenceau, me semble-t-il, qui disait que la guerre, c’est une affaire trop sérieuse pour la laisser aux militaires.

À chaque fois que j’entends les Dallaire, les Petraeus, les Lewis McKenzie et autres Hillier, je complète la phrase en me disant, dans ma Ford intérieure, « surtout avec les militaires qu’on a ! »

Soit dit en passant, pour ceux et celles qui voudraient quelque chose de rapide, de différent et de fort bien écrit à propos de l’affaire du Rwanda, je recommanderais fortement Pagan Babies d’Elmore Leonard (un autre auteur important —on ne compte plus les scénarios tirés de ses ouvrages : 3:10 to Yuma, Get Shorty, Mr. Majestyk, Out of Sight, etc.— dont on ne parle jamais, comme on ne parle jamais de Gore Vidal et de tant d’autres grands auteurs américains contemporains).

Pagan Babies ne nous parle pas des bureaux des états-majors, des journalistes, en un mot de la « superstructure » ; on y voit seulement la violence au ras (très ras) des pâquerettes, et de ce que peut faire un homme pas si honnête que ça, mais qui a des principes, en pareil cas.

Enfin, je ne peux que suggérer à vos recherchistes de mettre les ressources suivantes dans leurs signets :

http://www.dedefensa.org/

http://antiwar.com/

LES ÉCURIES QUÉBÉCOISES DU ROI AUGIAS

Ce n'est pas que le Québec me tue…

Ce n'est pas que le Québec me tue (s'il avait eu à me tuer, il y a pas mal longtemps que ce serait fait!). C'est tout simplement que le Québec va mal. En effet, à quoi ressemble actuellement notre pauvre pays, sinon à l'image que Fredric Jameson dresse de la société postmoderne : « a society bereft of all historicity, one whose own putative past is little more than a set of dusty spectacles » ?

L'exception québécoise est une illusion

L'idéologie québécoise, version Frankenstein

La représentation idéologique de notre histoire récente est tout entière dominée par le dogme de l'exception québécoise : le Québec serait un oasis de tolérance et de progrès socio-économique équitable et durable. Cette idéologie est commune à tous les partis politiques québécois qui, depuis (au moins) la Confédération, lui ont tour à tour donné, selon l'époque, une couleur plus ou moins nationaliste, plus ou moins social-démocrate, plus ou moins corporatiste, ou plus ou moins autoritaire. Ainsi, divers courants davantage « social-démocrates » (notamment certains éléments du Parti québécois), se sont accrochés pendant des années au rêve du « socialisme-dans-un-seul pays », tout comme les fractions plus autoritaires inspirées par Franco ou Salazar (comme l'Union Nationale de Maurice Duplessis) croyaient au « corporatisme dans un seul pays ». Bleu, rouge, vert, noir, rose ou brun : qu'importe sa couleur du moment, cette idéologie permet aux Québécois (et aux Québécoises), toutes tendances confondues, de se réunir dans la belle mais ô combien trouble unanimité de la « société distincte » (comme aux funérailles de Louis Laberge ou de Pierre Bourgault). Il n'en demeure pas moins que cette idéologie est une sorte de rafistolage à la Frankenstein : un peu de personnalisme, un soupçon de stalinisme, une dose d'existentialisme greffés sur un bon vieux fonds de thomisme et de doctrine sociale de l'Église. Elle est à l'image et à la ressemblance des fameux « penseurs » de la révolution tranquille. Ces derniers étaient, comme le docteur Frankenstein, des gens de bien, à défaut d'être des gens de biens. Pas surprenant que —dans un réflexe digne du bon docteur Frankenstein lui-même— les créateurs de la bibitte en question aient couru aux abris quand ils ont vu leurs créatures bien-aimées, l'« État » québécois et les « sociétés d'État » qui en étaient issues, dilapider le patrimoine, saccager l'environnement et faire des citoyens du Québec une peuplade taillable et corvéable à merci, comme leurs ancêtres l'avaient été sous des régimes précédents. Aujourd'hui on voit ces éminents personnages sillonner la campagne, toujours comme le pauvre docteur Frankenstein, sur la piste du monstre qui a échappé à son contrôle, pour tenter de convaincre les paysans que leurs bizarre et hideuse créature est non seulement d'une grande beauté, mais qu'elle est à tous égards l'avenir même de l'humanité.

Je ne suis pas le premier à l'écrire : l'échafaudage idéologique du Québec contemporain repose sur un mythe fondateur, à savoir qu'il y aurait eu, à l'occasion de la « révolution tranquille », une rupture fondamentale avec une « grande noirceur » qui aurait régné sur le Québec d'avant les années mil neuf cent soixante. Le Québec « moderne » serait en quelque sorte sorti de la cuisse —qui, nous le savons aujourd'hui, si elle n'était pas jupitérienne, était à l'occasion plutôt légère— de René Lévesque, et se serait trouvé, du jour au lendemain, fondamentalement et radicalement différent de celui sur lequel avaient régné les Duplessis et les Taschereau. On le sait, rien n'est moins vrai. Il suffit de considérer froidement les faits pour s'en convaincre. Lorsque « l'équipe du tonnerre » de Jean Lesage prend le pouvoir, on assiste peut-être à un changement de garde et, dans une certaine mesure, de génération, mais le système demeure le même : Pierre Laporte était peut-être plus raffiné que Gerry Martineau, mais il opérait le même genre de « machine à financer le parti » à coups de pourcentage sur les contrats. Claude Wagner ne faisait pas tirer sur les grévistes avec autant d'empressement et d'enthousiasme que les « procureurs généraux » de Duplessis, mais il n'en a pas moins continué la répression contre les syndicats, les « communistes » et les « séparatistes ». Paul Gérin-Lajoie a créé le ministère de l'Éducation, mais seulement après avoir obtenu la bénédiction de l'Église et avoir confié la mise en œuvre de la chose à monseigneur Parent. Lévesque, Kierans et le fidèle Parizeau ont nationalisé l'électricité, mais selon les conditions dictées par les marchés financiers et les robber barons de l'électricité, comme la tristement célèbre Shawinigan Water and Power. On pourrait multiplier les exemples, mais la conclusion serait la même : on était plutôt dans la tranquillité que dans la révolution. Il s'agissait d'une mise à jour, pas d'un changement de système, comme disent aujourd'hui les informaticiens. D'ailleurs, il suffisait d'aller faire un tour le dimanche matin dans les églises d'Outremont, de Sillery ou de Sainte-Foy : tous les piliers de la révolution tranquille (ou presque) allaient pieusement à la messe. Bien davantage que de Keynes, Parizeau et les autres étaient les disciples d'Esdras Minville et de François-Albert Angers.

History's bunk : to hell with reality !

Qu'importe la réalité : ce ne sont tout de même pas les faits qui vont empêcher les élites qui se bousculent à l'avant-scène du spectacle socio-politique québécois de soutenir la thèse manifestement frauduleuse d'une incontournable — et irréversible — révolution tranquille. Leur vision de l'histoire est fort simple : avant l'avènement de gens éclairés comme eux, il y avait Duplessis, et après eux, il y aura le Déluge, rien de moins ! Quand on y regarde d'un peu près, le comportement même de ces élites et leur rapport avec la société sont la meilleure preuve que la structure du système duplessiste a survécu à la disparition du cheuf et de son parti . Malgré tout le fla-fla à propos du progrès et de la révolution tranquille, les forces obscures et obscurantistes qui sous-tendaient le duplessisme sont toujours à l'œuvre aujourd'hui, mais à un niveau supérieur. Si elles ont délaissé leurs attributs extérieurs les plus offensants (comme la « police provinciale », la Loi du cadenas, le triomphalisme clérical et la corruption érigée ouvertement en système), elles se sont cramponnées aux lieux de pouvoir qui relèvent de leur essence profonde (le contrôle social, le quadrillage du territoire, les réseaux de « contacts » et d'influence). La vieille « Patente » est peut-être disparue, mais une nouvelle patente améliorée lui a succédé. Ce n'est surtout pas en faisant l'apologie, voire la défense et l'illustration de la révolution tranquille que l'on va aider à comprendre ce qui nous est arrivé... ni ce qui nous attend !

Être ou ne pas être…

Les Québécois veulent être à la fois Talon et Bigot, Duplessis et Lesage, Trudeau (Pierre et même Justin) et Lévesque (René et, pourquoi pas, Georges-Henri), Pax Plante et Mom Boucher, ragoût de pattes et sushi, poutine et bio. On ne peut d'ailleurs pas s'attendre à autre chose dans une société qui fait rimer révolution avec Napoléon et qui continue à confondre ce qui est populiste et ce qui est populaire… sans compter que les Québécois, en bons Canadiens, préfèrent le confort à la différence, à défaut de pouvoir toujours concilier le confort et l'indifférence (probablement à cause de leur éternel inconfort devant la différence). A mari usque ad mare, les Canadiens ont toujours « préféré avoir les mesures sociales sans le socialisme », selon le mot de l'historien Desmond Morton . Les Québécois ne font pas exception à la règle, comme le notait le Frère Untel : « Nous aimons le mot 'liberté', mais nous ne voulons sérieusement que la chose 'sécurité'. » Voilà bien le principe moteur de la dérive politicienne qui, sous couvert d'une certaine « gauche », a entretenu un bien pernicieux flou artistique et unanimiste autour de ce que l'on a appelé le « projet de société » et que certains, après les déboires électoraux du Parti québécois en avril 2003, essaient de faire revivre sous la bannière de la « société civile ».

De défaite en défaite jusqu'à la victoire finale !

Le Québec est « mal dans sa peau » parce qu'il est désespérément loin d'avoir réglé ses comptes avec les fantômes qui hantent son histoire et, par conséquent, le cerveaux des vivants. Digne héritier de la Nouvelle France et du Bas-Canada, il n'a cessé d'accumuler échec sur échec, désillusion sur désillusion : échecs référendaires successifs, accumulation d'épisodes peu glorieux comme l'affaire Claude Morin et combien d'autres désastres et échecs lamentables. Il est non seulement difficile mais aussi très pénible de regarder tout cela en face. Pour peu qu'on le fasse, la conclusion s'impose : nous sommes bien loin d'être engagés dans une marche ininterrompue vers une sorte de « destinée manifeste » qui aurait débuté avec les voyages de Jacques Cartier et qui se serait soudainement accélérée après la mort de Duplessis.

Les élites de la révolution tranquille et leurs héritiers nous ont laissé un pays, mais un pays sans mode d'emploi. Leur pensée se proclamait progressiste, et elle n'aura été que cela : une apologie béate, une justification au jour le jour d'un certain progrès réel, appréhendé ou redouté qui, au moment même où les artisans de la révolution tranquille s'émerveillaient de certaines de ses retombées, balayait impitoyablement la planète… et eux avec.

Telle la moraine des terres nordiques —la matière même de la « Terre Québec » si chère à nos poètes— qui a servi (plus prosaïquement) à remblayer les barrages de la Manicouagan et d'ailleurs sans qu'on lui permette de nous livrer les secrets de sa mémoire paléolithique, la « pensée » de Guy Rocher, de Marcel Rioux, de Fernand Dumont, du chanoine Grandmaison et de leurs émules et épigones n'aura été, en fin de compte, que le rempart derrière lequel se sont abrités et s'abritent toujours les maîtres du « Québec Inc. » et les profiteurs de tout acabit.

Du corporatisme au pays de Neuve-France

Au fond, bien peu de choses ont changé au pays de Neuve France depuis l'époque du cheuf. La « démocratie corporatiste » est, depuis des générations, le principe même du régime et du « modèle » québécois. Certes, le Québec n'a jamais adopté intégralement le « modèle corporatiste » prôné, entre autres, par Esdras Minville. Ce dernier, maître à penser de François-Albert Angers, proche de Lionel Groulx et d'André Laurendeau, rêvait, dans la foulée de l'encyclique Quadragesimo anno , d'un corporatisme québécois qui serait « conçu comme un organisme intermédiaire entre l'État et l'entreprise privée » et qui prendrait « la forme d'un syndicalisme poussé » . Selon ce projet, « toute la population se regrouperait en associations correspondant à chaque branche d'activité (finance, agriculture, artisanat, etc.) : les corporations […] réuniraient, sur un pied d'égalité, patrons et ouvriers en un 'conseil supérieur' de la profession […]. » Toujours dans la vision de Minville, les corporations, reconnues par l'État, seraient des organismes de droit public ; leurs décisions seraient « exécutoires pour l'ensemble de la profession […] principalement [pour] l'organisation du travail et le contrôle de la production. » Si ce modèle ne fut jamais intégralement mis en pratique (même si on peut facilement y reconnaître l'origine des « ordres » et des syndicats « professionnels », ainsi que d'organismes comme le « conseil supérieur de l'Éducation »), il n'en demeure pas moins que son principe a profondément marqué le mode de gouvernement du Québec, qu'on pourrait, à bien des égards, décrire comme une « démocratie corporatiste », un régime qui pratique l'incorporation systématique de personnes désignées par leurs corporations respectives dans les processus décisionnels de l'État.

Du corporatisme à la concertation

Au cours des dernières années, la démocratie corporatiste a été dépoussiérée et rebaptisée « concertation ». Ce régime fait l'affaire des syndicats, des chambres de commerce et des autres groupes d'intérêt agréés de la « société civile », parce qu'il les dégage de l'obligation de s'impliquer activement en politique afin d'aller « se chercher un mandat dans les urnes ».

La concertation corporatiste, c'est un ressort essentiel de ce que d'aucuns ont appelé « la république des copains », et que certains politiciens et universitaires font de temps à autre mine de dénoncer… mais seulement du bout des lèvres. Car il ne faut pas s'y tromper : au fond, tous les partis et tous les « groupes d'intérêt »
s'entendent sur la sagesse de maintenir les fondements de ce système.

The proof of the pudding is in the viewing…

C'est, entre autres choses, à cause de cette belle unanimité qu'on trouve si peu de substance dans les « débats électoraux », ces conversations codées et sibyllines entre politiciens professionnels, entre des gens qui ont passé le plus clair de leur vie à faire de la politique et rien d'autre.

Lors du triste « débat des chefs » de 2007, il était évident que monsieur Charest et monsieur Boisclair étaient, au fond, Romulus et Rémus nourris par la même mère louve adoptive, comme Lévesque et Bourassa avant eux (on ne parlera pas des frères Johnson !... quant au jeune Dumont, jadis président de l'aile jeunesse du parti libéral du Québec, on ne saurait douter qu'il appartient à la même engeance : mauvais sang ne saurait mentir !). On aurait pu ajouter le bon docteur Kadir, la stalinienne repentie Françoise David ou le vénérable Paul Cliche au débat, ça n'aurait rien changé à l'affaire.

D'ailleurs, chez les « initiés », personne ne s'y trompe : peu importe qui détient plus ou moins symboliquement le pouvoir politique, les gens « lucides » comme monsieur François Colbert auront toujours une forte influence en matière de culture, tout comme le professeur Pierre Fortin en économie… et le pouvoir, « en dernière instance », appartiendra au marché obligataire, lui-même influencé par les échos des partys au domaine de Sagard.

Quant au débat sur la place publique, on pourra toujours faire confiance aux journalistes qui, tels les épiciers de troisième ordre et les vendeurs de chars qui font vivre les journaux, n'hésitent jamais à nous refiler comme des morceaux de choix les rodomontades des porte-parole autoproclamés de la « société civile » ou encore les élucubrations de l'Institut économique de Montréal .