samedi 26 avril 2008

FIN AVRIL DANS VILLE-MARIE

« April is the cruellest month… »

  • T. S. Eliot

Avant-dernier dimanche d'avril, en fin d'après-midi… les jarrets d'agneau braisent tout doucement, pendant que les patates douces rôtissent sans mot dire. Pauvres patates… douces comme elles sont, elles ne se doutent pas qu'on va bientôt les écorcher presque vives, leur retirer leur chair et la piler avec des olives, de l'huile extra et du romarin… les patates douces version Abou Grahib, quoi !

C'est le temps de faire quelques petites courses : il manque un peu de fromage, quelques fruits et légumes, une douzaine de Boréal rousse, du café et de l'eau minérale.

Premier arrêt : la fruiterie, angle de Maisonneuve et Beaudry… comme depuis des années et malgré le changement d'administration, c'est pas les gros chars (les légumes sont souvent plus ou moins frais et trop humectés, ce qui les fait se gâter avant terme), et surtout un peu (et même, pour certains produits, pas mal) trop cher… mais c'est pas trop loin de la casa nostra. On fait avec parce que ça permet d'éviter le zoo de la rue Sainte-Catherine. Et aussi : les caissières sont bien gentilles. Elles disent même merci quand on traîne nos propres sacs « réutilisables ».

Restent la bière et l'eau… Ils auront ça au dépanneur angle Panet. Donc, direction de Maisonneuve vers l'est. Il fait plus que beau… même les résidentes de l'accueil Old Brewery sorties fumer ont un certain sourire (qui n'a rien à voir avec celui évoqué par madame Sagan). Souvent, quelques pas plus loin, les masseuses du Kama fument elles aussi, mais leur sourire est tout autre… « Une même réalité, deux mondes » ou « deux réalités, un seul monde » ? Va savoir… Chose certaine, les gens de « Médecins du monde », dont le local est installé entre la Brewery et le Kama ne semblent pas le savoir, ni y penser. C'est probablement ça, « penser globalement, agir localement » : ça évite de penser localement.

Passé la rue Lartigue, bruit de mécanique et puanteur de diesel se manifestent. Pourtant, il n'y a pratiquement pas de trafic sur le boulevard… Arrivé à une trentaine de pieds du dépann', je comprends : un des petits engins (combinaison tracteur-citerne) de l'opération nettoyage de printemps du maire Labonté est garé à contre-courant sur la voie publique et son moteur tourne, tourne et tourne encore. Le pilote de l'engin, dispositif bluetooth vissé à l'oreille,
s'escrime avec une borne d'incendie à laquelle il a attaché une buse, mais pas de boyau. Il me regarde, sourit et donne un bon tour de clé : un puissant jet d'eau sale jaillit de la borne-fontaine et m'asperge généreusement…

  • « Pourriez pas faire attention ? »
  • « T'es même pas mouillé !»

Je montre mes souliers, mes bas de pantalons… le tout détrempé comme après une promenade dans les herbes hautes après une bonne grosse averse, et l'odeur de borne-fontaine en plus. J'espère au moins un semblant d'excuses. Mais on est aux abonnés absents : rien, rien, juste un sourire narquois de la part du manipulateur de clé...

Bon… va falloir faire un peu d'éducation populaire…

  • — « Vous travaillez pour la Ville ? »
  • — « Oui, on travaille pour la Ville ! »

Pourtant, pas de logo de l'administration municipale sur l'engin, juste l'emblème de la société Ramcor. On ressaie…

  • — « Me semble que vous travaillez plutôt pour Ramcor. »
    • « Oui, c'est ça, pour la Ville, mais pour Ramcor. »
  • — « Votre nom ? »
  • — « Tony. »
  • — « Tony qui ? »
  • — « Juste Tony. »

Au sortir du dépann', je constate que Juste Tony a de la compagnie : une autre combo tracteur-citerne est garé à contre-courant et en double, cette fois-ci. Un collègue de Tony attend pour faire lui aussi le plein d'eau… Deux moteurs qui roulent, deux fois plus de bruit… sans compter l'eau qu'on dit si précieuse qui déborde et qui fuit de partout.

Ça va faire… faut prendre des photos, c'est trop drôle… ou triste, c'est selon. Mais je n'ai pas d'appareil. Je fais vite, vite l'aller-retour à la maison chercher un appareil.

Retour de Maisonneuve et Panet. Les deux zigotos sont toujours là. Je prends un ou deux clichés qui se révéleront malheureusement inutilisables. Le collègue de Tony n'apprécie pas, il me photographie en lançant quelques invectives que je n'entends pas… le bruit du tracteur a quand même quelque chose de bon !

Je prends le temps de dire bonjour à une connaissance : justement, c'est Bob, un des livreurs d'une pizzeria du coin, en plein « rush du dimanche soir ». Il est arrêté au dépann' acheter des cigarettes (pour lui ou un client, je ne sais pas). On regarde les engins à propreté.

  • — « Bob, si tu stationnais comme ça, qu'est-ce qui arriverait ? »
  • — « Ben voyons, c'est ben simple : j'aurais pus de permis, pis pus de job ! »

Pendant ce temps, le second engin s'est engagé rue Panet, direction sud (toujours à contre-courant) et bloque avec obstination une partie de la chaussée ainsi que le passage piétonnier. Il finit par embrayer… l'engin s'ébranle. La citerne-remorque, dont on a négligé de refermer le bouchon de remplissage répand de l'eau à chaque nid-de-poule. J'essaie d'attirer l'attention du chauffeur sur son oubli. Il m'engueule… En désespoir de cause, j'exerce mon dernier recours de citoyen (en fait, le seul) : un bon vieux finger, discret tout de même. Et là, j'ai droit à des menaces bien senties et bien audibles, mais heureusement incompréhensibles…

C'était l'opération propreté. Une belle illustration des conséquences de l'impartition, de la sous-traitance et de la mauvaise gestion de la chose municipale.

Plus tard : on essaie de souper… le plancher de la cuisine vibre, on a de la difficulté à entendre la radio, puis la télé. Mais ce ne sont pas les voisins… c'est le « Complexe » Sky, situé à un bon coin de rue et demi, qui inaugure ses terrasses et, de toute évidence, ses nouveaux équipements de sono…

Et on n'a pas encore ouvert la taverne en plein air que nous a annoncé le maire Labonté (celui que chez nous on appelle « le p'tit maire » par opposition au « grand maire », le ci-devant parfumeur Tremblay)… ça promet !

Un petit coup de fil au Sky… le gérant n'entend (ou ne veut entendre) rien : « la musique est trop forte ! », qu'il me dit.

Quoi faire ? Appeler le charmant poste de police de quartier ? Voyons donc : ça fait au moins quatre ans que le poste dit « de quartier » nous rit en pleine face. Appeler les services de la Ville ? Toujours fermés la fin de semaine… et il y a, si je me souviens bien, seulement deux « inspecteurs du bruit » pour toute la ville…

Donc… coup de fil au domicile du conseiller Sammy Forcillo. Je lui suggère de parler vite, vite, à son ami Sergakis, le proprio du Sky (et de tant d'autres affaires, mais ça c'est une autre histoire). Il m'assure qu'il va s'occuper de la chose.

Un peu plus tard, le plancher cesse de vibrer. Merci, Sammy… mais on va sûrement devoir recommencer.

On ne devrait pas avoir à passer par là : se faire niaiser par la police quand on se plaint, devoir déranger les élus à la maison et tout et tout…

Surtout, on ne devrait pas avoir à recommencer ça chaque année. Plusieurs voisins me disent : « Faut pas se plaindre, ça donne rien ; la meilleure solution, c'est de fermer les fenêtres et de s'acheter un air conditionné pis s'arranger pour déménager d'icitte au plus sacrant. »

Voilà pour un petit début de soirée dans Ville-Marie. Mais c'était pas fini…

Plus tard… il est neuf ou dix heures du soir. On regarde tranquillement le poste de TSF. Un préposé nous parle de ceci et de cela et des merveilleuses réalisations du grand et du petit maire en matière de nettoyage. Mais il faut augmenter le volume du poste parce que sous nos fenêtres il y a trois ou quatre engins à propreté qui jouent du Karcher comme Sarko dans les banlieues ou le petit maire Place Émilie-Gamelin. Sûr qu'ils font de même à pareille heure à Outremont…

Dodo… Lundi matin, je sors très tôt, comme toujours, pour acheter les journaux. Le caniveau et une partie de la chaussée sont couverts des épais résidus de l'opération Karcher. La brise qui souffle des basses Laurentides (comme on appelle ici le Plateau Mont-Royal) a déjà commencé à disperser ce concentré de saletés comme la cover-girl du Larousse les lettres de l'alphabet.

… à suivre.

lundi 7 avril 2008

Un autonomisme peut en cacher un autre

Qu'est-ce que l'autonomisme ?

Selon le dictionnaire (Le Robert, édition 2007) « autonomisme » signifie tout simplement « revendication d'autonomie ».

Toujours selon le dictionnaire, un autonomiste est un « partisan de l'autonomie en matière politique ». Les auteurs du Robert renvoient d'ailleurs le lecteur à « indépendantiste,
nationaliste,
sécessionniste,
séparatiste
» et citent comme exemples d'usage « autonomistes basques, corses ».

De dérive en dérive…

On le sait : monsieur Mario Dumont et ses joyeux lurons ont fait pas mal de millage en se proclamant « autonomistes ». Monsieur Dumont a répété à qui voulait (et même à qui ne voulait pas) l'entendre que l'« autonomisme » était une sorte de position mitoyenne entre le « séparatisme » et le « fédéralisme ».

Toutefois, un coreligionnaire de monsieur Dumont, monsieur Christian Lévesque, député de Lévis et « porte-parole de l'opposition officielle en matière de Conseil du trésor et d'administration gouvernementale » nous livrait récemment, dans le cadre des débats sur la politique budgétaire du gouvernement du Québec, un nouveau « spin » à propos de l'« autonomisme ».

Ces propos ont, comme ils disent, « passé sous le radar »… mais ça vaut vraiment le détour…

Bonne lecture… (TOUT est très, très, sic).

Extrait du Journal des débats de l'Assemblée nationale, jeudi 20 mars 2008 (Vol. 40 N° 63)

M. Christian Lévesque :

« On parle de changement, mais c'est difficile de faire du changement quand on continue à penser de la même façon. J'en ai déjà parlé dans le passé puis je vais revenir un petit peu là-dessus, le paternalisme versus l'autonomisme. La façon de gérer du gouvernement, ça ressemble… Je vais vous mettre un peu une image. Imaginez-vous un couple. Ma conjointe et moi, on est face à une décision. Le couple a deux façons de voir, soit la façon paternaliste ou soit la façon autonomiste.

Dans le cas de la façon paternaliste, on décide […] d'offrir une voiture à notre enfant. […] Alors, le couple paternaliste offre la voiture à sa fille en disant : Si tu as de la difficulté pour payer tes assurances, viens voir papa puis maman, on va t'aider. Si tu fais un accident, on va être là pour toi, on va tout te payer les dépenses, fais-toi-z-en pas. Si tu as besoin de gaz, papa est toujours là. Ce qui fait qu'on garde toujours le lien. Ça nous permet de poser des questions, de savoir… Tu es allée où hier soir ? Tu te promènes comment… Ta voiture, tu as fait combien de kilométrage cette semaine ? Tu le sais, c'est toi qui paies le gaz, c'est toi qui paies les assurances, c'est toi quand elle va au garage, qui sait c'est quoi, les petites affaires qui ont été faites.

Il y a l'autre façon de le voir, qui s'appelle la façon autonomiste, puis ça s'appelle la responsabilisation. Bien, cette façon-là, c'est d'offrir la même voiture… […] Parce que l'État est quand même généreux. On a la chance de vivre dans une belle province qui est le Québec, puis on est quand même un peu généreux. Alors, on offre cette même voiture là à la fille de 18 ans, mais, en l'offrant, on lui dit une chose : Ma fille, tu es rendue adulte, alors tu as la chance qu'on te fasse un beau cadeau. À partir de maintenant, quand tu vas avoir besoin d'essence, tu vas travailler pour, tu vas faire les efforts. Quand tu vas… Si tu fais un accident, c'est peut-être parce que tu n'auras pas vraiment pris la chance qu'on t'a donnée de t'offrir un véhicule. On va beaucoup plus loin, c'est qu'on responsabilise.

Bien, aujourd'hui, au gouvernement, on a de la difficulté à responsabiliser. Pourtant, on se barde d'avoir des grands conseils d'administration qui ont tous étudié qu'est-ce qu'était la bonne gouvernance, et tout ça, mais, à chaque fois qu'un conseil d'administration ici, au Québec, prend une décision, bien il faut qu'il y ait au moins six, sept, huit, 10 étages qui doivent revérifier, contrevérifier à chaque fois la décision. Est-ce qu'on est proche de la population ? Est-ce que ce qu'on nous avait dit, Briller parmi les meilleurs, de 2004, nous démontre aujourd'hui, avec le budget qu'on a reçu ― aujourd'hui, analysons-le ― qu'on est encore aussi proche de nos gens ? On est juste resté dans la même façon de penser paternaliste puis on n'a pas passé à l'autonomie. Mais on sait de quelle façon qu'on va pouvoir, un jour, y passer, à l'autonomie […], ce sera avec nous, ce sera avec l'ADQ. »

On ne saurait mieux dire…

Donc, pour résumer, l'« autonomisme » de l'ADQ, ce n'est pas tant une revendication d'autonomie face aux exactions du gouvernement d'Ottawa qu'un gonfanon sous lequel le parti essaie tant bien que mal de regrouper les purs et durs du « désengagement de l'État ».